Francisco Guerrero
vu par le romancier-musicologue Rodrigo de Zayas :
"Non pas que tous les Nazaréens fussent de mauvais
bougres ; il y en avait un en particulier que j'avais
rencontré à Jaén. J'accompagnais mon
père pour livrer des rouleaux de soie qu'il venait de
teindre. J'avais seulement neuf ans [la scène se
passe en 1555, et le narrateur est un musulman], mais je
m'en souviens comme si je venais de le vivre à
l'instant. Nous devions rester plusieurs jours . Le
dimanche, nous fûmes obligés d'assister
à la messe. Il y avait là un choeur d'enfants
qui chantait sous la direction d'un maître de chapelle
grand et maigre, affublé d'un nez imposant. La
musique m'étonna par sa limpidité, je n'avais
rien entendu de semblable à Grenade. A la fin de la
messe, j'étais tellement ému par cette
merveilleuse musique que je suppliais mon père de me
laisser parler à ce maître de chapelle. Bien
malgré lui, mon pauvre père fut obligé
d'aller trouver cet homme et de lui demander s'il voulait
bien me permettre de l'approcher. J'étais
affreusement intimidé. Le maître de chapelle
était fort laid mais il y avait chez lui une sorte de
grandeur, une majesté lumineuse qu'il m'est
impossible de décrire. D'une petite voix mal
assurée je lui demandai si la musique était de
lui. Il me répondit que oui. Je lui demandai son nom.
Mon père voulut excuser mon insolence, mais l'homme
sourit doucement.
- - Aimes-tu la
musique ?
- - Oh oui !
- - Dans ce cas, tu es différent
de ces affreux garnements. Veux-tu chanter avec
nous ?
- - J'aimerais chanter avec vous, mais
j'habite Grenade.
- - Je suis Francisco Guerrero de
Séville. Et toi ?
- - Je m'appelle Francisco, comme
vous !
Chaque fois que mon père allait
à Jaén, je l'accompagnais pour rendre visite
à mon ami musicien. Il était
extraordinaire ! Il chantait avec une voix de femme et
jouait de toutes sortes d'instruments. Un beau jour, il s'en
retourna à Séville. De temps à autre,
il m'envoyait une lettre avec une page de musique pour que
je puisse la chanter avec mes amis. Je lui répondais
toujours pour le remercier, mais je ne savais pas lire la
musique." (p. 295-296)
[Cette scène se déroule vers 1569-70]
"Le grand tribunal de l'Inquisition se trouve à
Séville. Mais à Séville, il y a un
Nazaréen qui est aussi un ami. C'est un homme bon
[...]. Il s'appelle don Francisco Guerrero, c'est
l'assistant du maître de chapelle de la
cathédrale. Il y a une vingtaine d'années,
lorsqu'il était encore apprenti musicien, il
séjourna à Tolède pour suivre
l'enseignement du grand Cristobal de Morales.
[...] C'est un homme bon et loyal. Si tu as la
chance d'écouter sa musique, tu comprendras mieux ce
que je veux dire." (p. 155)
ZAYAS, Rodrigo de, La Brigue et le Talion (Ce nom sans
écho, T. I), Paris, L'Esprit des
péninsules, 1996.
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